Le terme est à première vue contradictoire. Le “slacktivisme”, contraction de “slacking” (“relâchement“) et d'”activisme”, est défini par les Nations Unies comme le fait de “soutenir une cause en prenant des mesures simples” mais qui ne sont pas nécessairement “engagées ou dévouées à apporter un changement”. On l’appelle aussi “clicktivisme” ou “activisme de salon”.

En gros, le slacktivisme est un moyen d’exprimer son opinion sur une certaine cause sans descendre dans la rue ou risquer sa peau. C’est le hashtag viral que vous retweeterez. Le ruban rose sur votre chemise. Le cadre de couleur arc-en-ciel sur votre photo Facebook. La pétition “Sauvez les tortues” que vous avez signée la semaine dernière.

Bien sûr, nous faisons ces choses avec les meilleures intentions. Mais est-ce un type d’activisme valable ? Ou est-ce juste un moyen d’apaiser notre conscience sans avoir à s’engager vraiment ?

Le “fast-food de l’activisme”

En général, le slacktivisme a une réputation douteuse. Les critiques affirment qu’il ne conduit pas à un changement réel, sur le terrain, et qu’il simplifie à l’excès des problèmes mondiaux complexes. Partager un lien ou signer une pétition est facile, mais permet également au public de se désengager de la cause dix secondes plus tard. Certains commentateurs doutent fortement de la capacité de ces actions à catalyser le changement. Micah White, co-créateur du mouvement Occupy Wall Street, établit même un parallèle entre le slacktivisme et la nourriture de McDonald’s :

“On ne compte plus sur le pouvoir des idées ou la poésie des actes pour changer les choses. Au lieu de cela, les messages sont testés auprès du public et retravaillés afin d’être le plus séducteurs possible. (…) L’engagement politique devient affaire de cliquer sur des liens. En maintenant l’illusion que surfer sur le web peut changer le monde, le clicktivisme est à l’activisme ce que McDonalds est à un repas fait maison. Cela peut ressembler à de la nourriture, mais les nutriments qui donnent la vie ont disparu depuis longtemps”.

Au fond de nous, nous savons qu’un like Facebook ne nourrira pas un enfant affamé. Et que les maladies chroniques ne tiennent pas compte du nombre de hashtags viraux qui condamnent leur existence. La parole ne suffit pas si elle ne s’accompagne pas d’actes concrets.

“Le clicktivisme est à l’activisme ce que McDonalds est à un repas fait maison.

Micah White, co-fondateur d’Occupy Wall Street

Imaginez… un monde sans pandémie

La crise du coronavirus a mis un nouveau coup de projecteur sur le slacktivisme, pour le meilleur et pour le pire. Après six jours de confinement, 25 célébrités connues, avec à leur tête l’actrice Gal Gadot, ont publié un montage vidéo d’elles-mêmes chantant “Imagine” de John Lennon. L’image de ces célébrités chantant “Imagine no possessions” (“imagine un monde sans possessions“) depuis le confort de leurs luxueuses maisons a vite suscité indignations et moqueries.

Publiée au cœur d’une pandémie qui frappe de manière disproportionnée les communautés les plus pauvres et vulnérables, cette vidéo a été considérée comme un message maladroit de la part de personnes en situation d’extrême privilège. Ce qui était censé être un message de solidarité et de compassion est rapidement devenu un symbole de slacktivisme à son paroxysme. Le New York Times a partagé une analyse acerbe du phénomène : “Sur les médias sociaux, Gadot et son équipe ont été fustigés pour avoir maladroitement contribué cette… chose, plutôt que de l’argent ou des ressources. Leur naïveté géniale les rend aveugles au plus grand péché de la vidéo : l’autosatisfaction suffisante, l’orgueil de la prétendue bonne action. La présomption qu’un geste vide et profondément gênant de la part d’un groupe de célébrités ait un sens quelconque frise l’illusion (…)”.

La débâcle d'”Imagine” a peut-être été le pire exemple de slacktivisme durant cette pandémie, mais ce n’est pas le plus célèbre. Depuis le début du confinement, les gens se sont rassemblés sur leur balcon et sur le pas de leur porte pour applaudir le personnel médical en première ligne de cette crise. Ce qui était au départ une initiative de solidarité réconfortante a peu a peu commencé à faire débat alors que la crise faisait rage. Des voix ont dénoncé la futilité de cette initiative face aux politiques de réduction de dépenses dans les hôpitaux publics, demandant des dons plutôt que des applaudissements.

Les applaudissements quotidiens ont également attiré l’attention sur le fait que ceux qui sont remerciés comme “travailleurs essentiels” ont longtemps été sous-payés et sous-évalués. De plus, le fait de décrire nos travailleurs médicaux comme des “héros” les prédispose également au martyre : “en acclamant la métaphore du martyr sans offrir de protection ni de rémunération, c’est le sacrifice et non pas l’héroisme que nous demandons. Un sacrifice inutile, causé par l’avarice du capital, le dysfonctionnement du gouvernement, la défaillance d’un État si complet qu’il en étourdit l’esprit” dénonce ainsi le journal QG. Les personnes qui risquent leur vie pour soigner nos malades, veiller sur nos proches vulnérables et garder nos supermarchés ouverts n’ont pas besoin d’applaudissements : elles ont besoin de financement, de protection et de compensation.

Cependant, tout n’est pas mauvais dans le slacktivisme. En ces temps de crise, les communautés du monde entier ont fait preuve d’une résilience et d’une solidarité exceptionnelles. Partout dans le monde, les gens s’entraident pour faire les courses, garder les enfants, aller chercher les médicaments ou veiller sur leurs voisins. Alors que des bénévoles à Bruxelles distribuent des repas aux travailleurs de la santé, des bénévoles en Allemagne ont mis en place une plateforme qui facilite l’assistance de personne à personne. A Paris, des bénévoles ont justement utilisé la messagerie Slack pour mettre sur pied un réseau de soutien aux hopitaux de l’APHP, rejoint par plus de 16 000 personnes en l’espace de quelques semaines. Si ces initiatives relèvent davantage de l’activisme que du slacktivisme, elles montrent néanmoins que l’aide et l’engagement ne nécessitent pas toujours un effort énorme et sont facilitées par les réseaux sociaux.

Enfin, tout au long de la pandémie, le slacktivisme le plus facile a également montré sa valeur. Instagram a lancé les autocollants #StayHome et #IStayHomeFor pour les stories des utilisateurs. Cette nouvelle fonctionnalité a permis de souligner l’importance du respect des consignes de confinement, en particulier pour le jeune public.

Photo : Social Media Today

Comme l’indique Social Media Today, “Jusqu’à présent, les recherches disponibles suggèrent que COVID-19 ne constitue pas un risque majeur pour la santé des jeunes, mais qu’il peut être mortel pour les personnes plus âgées. Ainsi, bien que la majorité des utilisateurs d’Instagram aient moins de 34 ans et ne considèrent peut-être pas COVID-19 comme une menace importante pour eux personnellement, mettre en évidence les répercussions étendues sur d’autres membres de la famille et amis pourrait contribuer à souligner l’importance de la distanciation sociale pour tous, quel que soit votre niveau de risque”. Si un simple autocollant sur une plateforme sociale peut faire prendre conscience aux jeunes publics des dangers d’un virus mortel et envoyer simultanément un message positif à un travailleur clé qui leur tient à cœur, c’est une victoire pour le slacktivisme.

Les success stories du slacktivisme : #SLA et #BLM.

Les exemples positifs du slacktivisme en dehors de la pandémie ne manquent pas non plus. Le défi du “ice bucket challenge” pour la SLA (Sclérose latérale amyotrophique) incitant les participants à vider un seau d’eau glacée au-dessus de leur tête et à faire un don pour la cause a pris d’assaut l’internet en 2014. Tout le monde, des célèbres joueurs de football aux acteurs en passant par le cousin du coiffeur de votre voisin, s’est joint au défi du seau à glace. Cet engouement n’a pas seulement permis de sensibiliser les gens à la maladie, il a également permis de récolter des centaines de milliers de dollars qui ont servi à financer la recherche et à terme améliorer le quotidien des malades.

Dans un autre registre, le mouvement #BlackLivesMatter est né comme un hashtag viral pour dénoncer les violences policières, mais il rapidement franchi les frontières d’internet. Les conversations en ligne ont donné lieu à des vagues de manifestations à travers tout le pays, laissant un impact durable sur le pays – les conversations à ce sujet perdurent encore aujourd’hui, et le hashtag est bien loin de disparaitre.

Plutôt que de considérer le slacktivisme comme une alternative à l’engagement, il faut le voir comme une première étape pouvant mener à un activisme plus profond. “Si ce le mouvement s’arrête aux réseaux sociaux, alors il n’en résultera pas grand-chose. Mais cette impulsion pousse les gens à agir eux-mêmes, et qu’on les aide à trouver comment agir eux-mêmes, alors le changement est possible”, explique ainsi Nicholas Mirzoeff, professeur à l’université de New York.

Selon les chiffres de Platypus Digital, les “slacktivistes” seraient deux fois plus enclins à faire du volontariat, et 4 fois plus enclins à signer une pétition et à encourager les autres à en signer. Les répercussions de ces initiatives peuvent être bien réelles : la campagne de donation par texto lancée par la Croix Rouge à la suite du séisme en Haiti avait ainsi récolté plus de 20.000 de dollars en cinq jours, avec près de 10.000 textos reçus par minute au pic de la campagne. Pas si mal pour de l’activisme de canapé.

“Renoncer à cet engagement soit-disant faible serait aussi stupide que de refuser un don d’un enfant qui veut vider sa tirelire sous prétexte que nous avons besoin de plus d’argent qu’il ne peut en donner. Ce serait insultant, insensible, irresponsable et franchement contre-productif.”

Juliette H, militante Greenpeace, au sujet de l’activisme en ligne

CitizenLab, une plateforme de slacktivisme ?

Quel est donc le lien entre le concept de slacktivisme et la plateforme de démocratie électronique de CitizenLab ? La plupart des actions que nous soutenons pourraient sans doute entrer dans la catégorie du “slacktivisme”. A première vue, signer des pétitions, voter ou partager des idées sont des actions faciles et sûres qui s’effectuent en ligne en quelques clics – mais nous avons aussi récemment lancé des ateliers citoyens en ligne sur notre plateforme pour permettre une délibération approfondie. En réalité, la participation en ligne n’est pas forcément synonyme d’un engagement faible, et plusieurs facteurs distinguent la participation sur nos plateformes du slacktivisme :

  • La communauté concernée et les sujets abordés sont clairement définis. Le slacktivisme vise souvent à influencer des problèmes énormes et globaux comme la famine, la guerre ou le réchauffement climatique par des actions apparemment futiles. En comparaison, les conversations tenues par l’intermédiaire de CitizenLab sont beaucoup plus tangibles, et les problèmes que l’on cherche à résoudre existent à l’échelle locale.
  • Les communautés font entendre leur voix sur des sujets qui les touchent directement : l’année dernière, les sujets les plus abordés sur nos plateformes étaient la mobilité et l’urbanisme. Lorsque les résultats sont plus clairs et plus proches de la réalité, il est plus probable que l’engagement en ligne se transforme en action concrète.
  • Nous stimulons une interaction productive entre les gouvernements locaux et les citoyens. Nous inspirons le dialogue entre différents groupes sur une plateforme construite dans ce but précis, qui a pour but d’aboutir à des changements concrets. Les administrateurs de la plateforme informent les citoyens sur les changements en cours et partagent les résultats des projets.

L’engagement en profondeur est bien sûr préférable à une interaction superficielle. Cependant, le progrès doit commencer quelque part… et si c’est sur les médias sociaux, il n’y a rien de mal à cela !