Citizen est allé à la rencontre de celles et ceux qui travaillent à transformer nos gouvernements pour les interroger sur le futur de la participation citoyenne et de la démocratie numérique. Le livre blanc complet est disponible ici.

Stephen Boucher est le fondateur de Dreamocracy, un ‘think-and-do tank’ et agence de conseil qui promeut l’intelligence collective et l’innovation au sein des gouvernements et des collectivités locales. Il enseigne la science politique à Sciences Po Paris, à l’école de management de Solvay à Bruxelles, à la Collective Intelligence School et à l’institut des études européennes de l’Université Libre de Bruxelles. Avant de fonder Dreamocracy, Stephen a dirigé la fondation Euractiv et le site consoGlobe.com, consacré à la consommation responsable. Il a également travaillé à la Fondation Européenne pour le Climat, à l’institut Jacques Delors et il a été conseiller au ministre des affaires européennes dans le gouvernement de Guy Verhofstadt. Stephen est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le ‘Petit Manuel de la créativité politique’ et ‘Les think-tanks, cerveaux de la guerre des idées’.

CitizenLab – “Dans un climat de défiance et de crise des institutions, comment expliquer l’apparente augmentation de l’envie de participation citoyenne ?”

Stephen Boucher – “Comme l’explique Jeremy Heimans dans ‘Old power, New power’, le rapport au pouvoir a changé, les outils du pouvoir ont changé, et de nouvelles formes de pouvoir plus flexibles et plus collaboratives sont en train d’émerger. Aujourd’hui, les manifestations et l’éclosion de nouveaux mouvements montrent qu’il y a bien une foi en l’action politique, mais qu’il existe aussi une insatisfaction par rapport aux formes traditionnelles de l’implication politique. Il ne faut pas confondre la défiance par rapport aux formes traditionnelles de politique avec avec une absence de foi dans l’action politique. Il ne faut pas non plus prendre la vision négative des acteurs de la politique pour une absence de volonté d’action collective. En réalité, il y a surtout une forte attente pour une nouvelle forme d’implication citoyenne.”

C – “Selon vous, d’où vient cette perception négative des acteurs politiques ?” 

SB -“Il y a un point essentiel, qui est que les acteurs de la politique traditionnelle ont failli aux yeux des citoyens. Un des premiers éléments de la confiance est ce que l’on appelle dans le jargon de science politique ‘l’output legitimacy’,  c’est à dire la légitimité par les résultats.  À force de promettre monts et merveilles mais de ne pas atteindre ces résultats,  les élu.e.s ont déçu les citoyens et cultivé le scepticisme.

L’autre aspect est l’envie des citoyens d’être écoutés et impliqués différemment. Ils ont le sentiment que les élus et les institutions politiques n’ont pas forcément une bonne compréhension de leurs besoins, et souhaiteraient pouvoir apporter  leur propre expertise afin de trouver des solutions. Le processus politique gagnerait en légitimité en ouvrant la prise de décisions au-delà du cercle fermé des politiques et des lobbies. 

Enfin, si la confiance et la légitimité sont des réponses évidentes, on oublie trop souvent un troisième aspect qui est pourtant essentiel : l’expression des émotions. Qu’elles soient positives (l’aspiration, l’espoir, l’envie d’être solidaires…) ou négatives (faisant alors le jeu des partis populistes qui instrumentalisent les peurs ou les frustrations), les émotions sont essentielles en politique. Le secteur privé a bien compris cet enjeu, et joue là-dessus en injectant du sens dans le consumérisme.  Cette quête de sens, de vision et de valeurs est l’une des grandes raisons du succès du mouvement des Gilets Jaunes. Au cours des manifestations, les acteurs ont retrouvé du lien social autour des ronds-points et ont reconnu des envies partagées. L’engagement croissant des citoyens dans des actions locales ou des ONGs montre aussi cette recherche de sens et de motivation. 

Le rapport au pouvoir a changé, les outils du pouvoir ont changé

Stephen Boucher

C – “Qu’est-ce que les gouvernements peuvent faire pour réinjecter du sens dans la vie politique ?”

SB – “Il est nécessaire d’être à l’écoute non seulement des idées et des enjeux technocratiques,  mais aussi des émotions. En France, le mouvement En Marche a développé un dispositif d’écoute et de réflexion ouverte lors de sa campagne, mais a perdu cet élan une fois au pouvoir; il s’est alors concentré sur la réalisation du programme politique. L’écoute a fortement diminué, laissant place à un sentiment de détachement, de distance, et parfois de snobisme.  Il est important de maintenir cette écoute et de donner de la place aux émotions, sous peine de laisser la place aux vendeurs de rêve et aux populismes de tous bords.” 

C – “Qu’est-ce que les gouvernements peuvent faire pour réinjecter du sens dans la vie politique ?”

SB – “Il est nécessaire d’être à l’écoute non seulement des idées et des enjeux technocratiques,  mais aussi des émotions. En France, le mouvement En Marche a développé un dispositif d’écoute et de réflexion ouverte lors de sa campagne, mais a perdu cet élan une fois au pouvoir; il s’est alors concentré sur la réalisation du programme politique. L’écoute a fortement diminué, laissant place à un sentiment de détachement, de distance, et parfois de snobisme.  Il est important de maintenir cette écoute et de donner de la place aux émotions, sous peine de laisser la place aux vendeurs de rêve et aux populismes de tous bords.”

C – “Vous parlez souvent de créativité en politique. Comment faire pour que les gouvernements soient plus créatifs, plus à même d’être à l’écoute des émotions ?”

SB – “Le premier principe à mettre en avant est celui de l’intelligence collective, qui se base sur l’inclusion, la diversité et la délibération. En ouvrant le processus de décision à un large public et en permettant la confrontation d’opinions variées, il est permettant la confrontation d’opinions variées, il est possible d’apporter de nouvelles perspectives et des solutions plus efficaces au débat public. Ce processus permet également de générer de l’énergie dans le groupe et de libérer « l’audace collective ».  C’est d’ailleurs le but de beaucoup de nouveaux outils de démocratie comme CitizenLab ou bien Dreamocracy.”

C – “Les assemblées citoyennes font en ce moment la une de l’actualité. Est-ce une mode, ou bien annoncent-elles le début d’un nouveau fonctionnement politique ?”

SB – “C’est un peu des deux. C’est en partie une mode car on a récemment constaté un véritable engouement pour l’outil, sans pour autant que tous les acteurs politiques comprennent les implications du processus. Cependant, la consultation citoyenne est un processus qui ne peut qu’aller de l’avant et il n’y a pas vraiment de retour en arrière possible une fois le mouvement lancé. La ville de Paris a par exemple commencé par des forums ouverts et les boîtes à idées, avant d’évoluer vers des processus plus impliquants et de plus grande ampleur tels que des budgets participatifs, et d’associer les citoyens à la mise en œuvre des projets issus de cette consultation. Cette dynamique est inhérente à la promesse de consultation.”

“La consultation citoyenne ne peut que aller de l’avant”

Stephen Boucher

C – “Comment s’assurer que les gouvernements suivent les recommandations issues des consultations citoyennes ?”

SB – “Il y a ici deux choses à distinguer. Tout d’abord, tous les dispositifs de consultation n’ont pas pour but de mener à l’action. Les mécanismes de consultation ne doivent pas décharger les politiques de leurs responsabilités : ce n’est pas aux citoyens de tout décider. Il est important d’être très clair sur le but de la consultation :  a-t-elle pour but de recueillir des avis, d’orienter un choix, définir des priorités ?  Il y a toute une gamme possible des livrables, et un contrat moral clair limite les frustrations. Il est évident que de nombreuses consultations sont faites par effet de mode et n’ont pas le sérieux ni le contrat moral requis. Cependant, avant de trop dénoncer, il faut se rappeler que nous ne sommes qu’au début d’un processus qui est finalement assez récent. Les assemblées citoyennes ont beau être inspirées des processus de la Grèce antique, elles sont encore nouvelles à l’échelle de nos démocraties représentatives. Il faut accepter que le processus prendra du temps.

Ce n’est pas parce qu’une assemblée n’est pas parfaite du point de vue méthodologique qu’il faut entièrement réfuter ses résultats. Il faut plutôt encourager la démarche d’expérimentation ; je pense que nous sommes dans une époque de recherche et développement en démocratie.  Il n’existe pas de solution finale pour sauver la démocratie, et les acteurs qui construisent de nouveaux outils (comme CitizenLab ou Dreamocracy) ont un rôle de vigilance et de conseil.”

C – “La participation citoyenne a-t-elle une place au niveau national et international ?”

SB – “Bien sûr ! Les consultations au niveau européen peuvent répondre au déficit d’espace public européen, et permettre d’aborder la complexité des enjeux européens. Pourquoi ne pas introduire une part de budget participatif dans le budget européen, ou faire un sondage délibératif avant le  discours annuel du président de la Commission  pour éclairer ses options ? Les institutions européennes sont en train de réfléchir à ces mécanismes, et il y a une foule de résolutions en train d’être négociées au sein des institutions.”